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« Viser un abattement des résidus pharmaceutiques plutôt qu’une élimination »

Florent Brun est coordinateur doctorant du projet Kolos au sein du programme Ocapi.

Florent Brun, coordinateur doctorant du projet Kolos au sein du programme Ocapi (1), fait un point sur les micropolluants contenus dans les fertilisants provenant d’urines.

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Qu’est-ce que le projet Kolos et quels sont ses résultats en termes d’indésirables pharmaceutiques ?

Le projet Kolos (2023-2025) a testé l’épandage de lisain sur une parcelle de maïs dans le bassin lyonnais en 2024. Le lisain est un fertilisant composé d’urine humaine stockée au moins un mois à 20°C pour l’hygiéniser. Sa teneur moyenne en NPK est de 6/0,5/1 en g/litre.

Sur les 35 molécules les plus connues analysées (antidouleurs, anti-inflammatoires, antibiotiques et caféine), 33 ont été retrouvées dans le lisain. Les plus présentes sont la caféine, le paracétamol, l’ibuprofène et des antibiotiques (pénicilline ou amoxicilline). Certaines, comme la caféine, pourraient avoir un effet négatif sur la germination des semences et la croissance du maïs.

Que deviennent ces molécules lorsque les urinofertilisants sont épandus ?

Le devenir de ces molécules est une combinaison entre quatre critères. Tout d’abord, la lixiviation : en fonction de leurs mobilités, certaines molécules peuvent avoir un comportement proche de l’azote. Puis l’adsorption par le sol : après dix-sept ans d’épandage d’urine sur une même parcelle au Danemark, on retrouve deux à quatre molécules quantifiées entre 0,1 et 23 microgrammes par kg MS. La dégradation par le sol ensuite et enfin la captation par la plante avec un éventuel effet biocide qui pourrait bloquer ou freiner la germination et la croissance de la plante, et une éventuelle transmission dans l’alimentation. À savoir que, selon une étude d’Häfner et al. de 2023, il faudrait manger 521 000 choux pour retrouver 200 mg d’ibuprofène, et selon Winker et al. (2009), il faudrait manger pendant mille ans des légumes fertilisés à l’urine pour retrouver 1 g de paracétamol.

Aujourd’hui, il n’est pas possible, ni souhaitable, de donner des seuils à partir desquels les molécules ont un effet toxique. Effectivement, l’effet cocktail, difficilement quantifiable, est à prendre en compte. Mais si le risque zéro n’existe pas, il est impossible de traiter 100 % des molécules. L’idée est de viser un abattement des résidus pharmaceutiques plutôt qu’une élimination totale. Un projet d’arrêté du socle commun doit fixer les critères d’innocuité des matières fertilisantes et supports de cultures.

Comment peut-on réduire ces molécules dans les urines ?

Différents traitements sont possibles tels que le stockage dans un contenant hermétique qui permet un léger abattement des résidus pharmaceutiques ou, mieux, une filtration sur charbon actif. Ce traitement utilisé pour l’eau potable est actuellement le plus performant. Mais aujourd’hui, les micropolluants (pharmaceutiques et chimiques) ne sont pas assez considérés dans notre société.

Pour l’agriculture, ils proviennent en particulier des lisiers et fumiers d’élevage, des stations d’épuration avec rejets via les boues et dans les cours d’eau, et des engrais utilisés par ailleurs (cadmium). Les indésirables présents dans les urines proviennent de consommations humaines. La question de la consommation volontaire de ces molécules (pour la santé), et involontaire (produits cosmétiques, microplastiques…) doit se poser. Et l’industrie produit plus rapidement des molécules que nous ne pouvons les identifier et connaître leur toxicité dans l’environnement.

Le seul avis officiel à ce sujet est celui de l’OMS qui recommande en 2012 : « En l’état des connaissances actuelles, aussi parcellaires soient-elles, l’enjeu des résidus pharmaceutiques dans les urines humaines est moins pire dans les sols agricoles que dans les cours d’eau. » Malgré cela, le débat doit rester ouvert.

(1) Le programme Ocapi étudie les systèmes alimentation/excrétion et la gestion des urines et matières fécales humaines) de l’École nationale des ponts et chaussées au sein du laboratoire Eau, environnement, systèmes urbains (LEESU).

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